Sunday, January 6, 2008

Demande de recours collectif contre Immigration Canada

Louise Leduc

La Presse

Entre 1994 et 2004, le gouvernement fédéral a encaissé 700 millions de dollars aux dépens d'immigrants à qui il a facturé des sommes nettement exagérées pour leur accorder des visas, estime un trio d'avocats. Ils viennent d'obtenir la permission d'intenter un recours collectif qui pourrait toucher plus de 12 millions de visas.

La décision est tombée hier: non, cette cause n'est pas farfelue, et les tribunaux devront se pencher sur le fond de la question, a tranché la Cour fédérale.

Cela fait 13 ans que l'avocat Richard Kurland, de Vancouver, qui représente des multinationales à la recherche de personnel à l'étranger, travaille d'arrache-pied à ce dossier.

À coup de demandes répétées d'accès à l'information - que peut présenter tout citoyen qui souhaite obtenir une information du gouvernement -, M. Kurland a réussi, bribe par bribe, à apprendre par exemple qu'à Taipei (Taiwan), produire un visa de visiteur coûte 7$. Or, on exige 75$ du demandeur.

Pour un visa d'immigrant? Les frais d'administration liés à la production du document - vérifications d'usage, entrevue avec un employé de l'ambassade, etc. - s'élèvent à 360$, selon les renseignements qu'a obtenus M. Kurland. Les étrangers qui le réclament doivent toutefois débourser 550$.

Selon M. Kurland, tout cela est d'autant plus inacceptable dans le cas du Québec, qui est la seule province à sélectionner elle-même ses immigrants. Pour immigrer ici, un candidat aura d'abord dû payer 390$ pour son certificat de sélection et 150$ pour chaque personne à sa charge. «Vu que le Québec a déjà pris sa décision et fait le gros du travail, qu'est-ce qui reste tant à faire aux autorités fédérales pour qu'elles réclament plus de 550$?» demande M. Kurland.

Une fois qu'ils sont acceptés, les futurs immigrants doivent enfin payer 490$ en «frais d'établissement». Une taxe à l'établissement, quoi. Avant l'arrivée au pouvoir de Stephen Harper, cette taxe était deux fois plus élevée (975$); le premier ministre a ainsi respecté sa promesse de la réduire. C'est un pas dans la bonne direction mais, aux yeux de bon nombre d'avocats spécialisés en droit de l'immigration, il reste encore beaucoup de ménage à faire.

Joseph Allen, avocat et président de l'Association québécoise des avocats et des avocates en droit de l'immigration, croit que les trois juristes (Richard Kurland, Lorne Waldman et Gerard Cuttler) qui pilotent le recours collectif ont une cause plus qu'intéressante devant eux. «Aussi bien à Ottawa qu'à Québec, les gouvernements ne rendent pas des services à la hauteur des frais qu'ils exigent, dit M. Allen. Au Proche-Orient, il faut souvent trois ou quatre ans pour que les dossiers soient traités.»

Pendant ce temps, l'argent dort dans les coffres et prolifère. «Les chèques des demandeurs ne sont d'ailleurs pas faits au ministère de l'Immigration, mais au Receveur général, à Ottawa, et au ministère des Finances, à Québec, fait remarquer Patrice Brunet, avocat en droit de l'immigration au Québec. Ça sert à engraisser le fonds consolidé de ces deux ordres de gouvernement.»

Selon les avocats qui pilotent le recours collectif, il n'est pas acceptable que le gouvernement fasse des profits sur les services qu'il offre - des profits que Richard Kurland évalue à au moins 25%.

Mais comment les personnes en cause seront-elles jointes? Selon l'avocat Richard Kurland, seulement 15% de toutes les personnes qui pourraient être admissibles au recours collectif vivent à l'étranger. La majorité est déjà au pays grâce à des visas temporaires.

La décision rendue hier par la Cour fédérale ne touche que les gens qui ont présenté une demande de visa entre 1994 et 2004. Cette période a été retenue pour des raisons techniques, mais Richard Kurland entend dès lundi entreprendre d'autres démarches pour inclure les demandeurs plus récents.

Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, à Ottawa, n'a pas voulu commenter, hier. Karen Shadd-Evelyn, responsable des relations avec les médias, s'est bornée à dire: «Il s'agit d'une affaire complexe. Nous examinons la décision de la Cour et les options qui s'offrent à nous sur le plan juridique.»

http://www.cyberpresse.ca/article/20080105/CPACTUALITES/801050826/5358/CPPRESSE