Charles Taylor et Gérard Bouchard
Photo Patrick Sanfaçon, La Presse
La Presse
Dans tout le débat sur les accommodements raisonnables, les Québécois de souche se comportent avec les minorités issues de l’immigration comme s’ils formaient eux-mêmes une minorité sur leur propre territoire, estiment les coprésidents de la commission Bouchard-Taylor. Ces derniers s’attaqueront au cours des trois prochains mois à la question brûlante de l’intégration des immigrants.
«On vit tout le paradoxe d’une majorité qui craint ses minorités. Il faut changer ça, parce que ça n’a pas de fondement objectif», a déclaré hier l’historien Gérard Bouchard, lors du dévoilement du document de consultation qui servira de base aux échanges avec la population.«Il faut en arriver à un point où nous assumons notre rôle de majorité», poursuit-il, et «être une majorité, ça s’accompagne de responsabilités, comme voir à ce que les droits des minorités soient respectés».
Le débat des derniers mois sur les accommodements raisonnables a montré que le Québec est à «un croisement». Il a révélé un «malaise identitaire», croit M. Bouchard. Une crise sérieuse, alimentée par les non-dits, et aussi, par un profond clivage entre l’élite intellectuelle québécoise et les simples citoyens.
«Nous craignons que le débat sur les questions qui sont au cœur de ce débat ait laissé de côté la population. Le message qui passe, dans cette controverse, c’est "voici le temps de nous écouter. On a quelque chose à dire". Ça ne sera pas dans la langue des intellectuels, mais ça va être clair», souligne Gérard Bouchard.
Les deux coprésidents ont donc opté pour la formule de consultation la plus ouverte possible. Dix-sept rencontres se tiendront dans toutes les régions du Québec. Quatre forums seront organisés à Montréal par l’Institut du nouveau monde. Les citoyens sont fortement invités à faire connaître leur opinion sur le site internet de la commission.
Déjà, une préconsultation auprès de plusieurs dizaines de groupes a révélé aux deux intellectuels l’ampleur du malaise social. «On voyait rapidement à quel point les gens étaient angoissés par les accommodements et tout ce qu’il y a derrière. Comme si les Québécois avaient l’impression que leur culture vit une sorte de vide alors que celle des autres est très consistante, très forte», résume M. Bouchard.
Les rencontres des trois prochains mois risquent-elles de virer à la séance de défoulement ? Peut-être, admet Gérard Bouchard. «Bien sûr qu’on s’aventure en terrain glissant. Mais il faut le faire. Il faut œuvrer sur les terrains glissants qu’on a évités jusqu’à maintenant. À nos risques et périls, nous allons donc naviguer sur ces terrains glissants», dit-il avec le sourire.
Une armée de cerveaux
Les deux coprésidents seront accompagnés dans ce périple par une véritable armée de cerveaux : ils se sont adjoint les services d’un comité-conseil formé de 15 experts de différents milieux, chargés de l’épauler sur diverses questions.
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Car la consultation ne portera pas que sur la question pointue des accommodements raisonnable : les coprésidents ont interprété le mandat qui leur a été donné par le gouvernement de façon très large. «On ne peut pas débattre du caractère raisonnable d’un accommodement sans se demander quel est le bon modèle d’intégration ? Quel est le modèle de laïcité ? Sinon, on passerait totalement à côté», estime l’autre coprésident, le philosophe Charles Taylor.
Au cours des trois prochains mois, les citoyens et les groupes sont donc invités par la commission à se prononcer sur toutes les questions qui touchent à l’intégration des immigrants, énoncées de façon franche, voire brutale, dans le document de consultation.
Parmi elles, un enjeu qui a ressurgi dans l’actualité récente: y a-t-il trop d’immigrants au Québec ? Les deux coprésidents jugent d’ailleurs inappropriée l’intervention toute fraîche du chef de l’ADQ, Mario Dumont.
«Ce n’est pas le moment pour quiconque de se prononcer là-dessus», estime Gérard Bouchard. «Il est parfaitement légitime de se questionner sur le nombre d’immigrants qu’on accueille au Québec. De là à dire que la capacité d’accueil est atteinte… Je crois que la réponse doit s’appuyer sur des données très fiables, qui n’existent pas présentement.»
http://www.cyberpresse.ca/article/20070815/CPACTUALITES/70814230/5050/CPPRESSE
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