Hélène Buzzetti
Le Devoir Édition du samedi 01 et du dimanche 02 décembre 2007
Le gouvernement pourrait devoir réécrire l'accord d'harmonisation signé dans la foulée du 11-Septembre
Ottawa -- Les groupes de défense des réfugiés crient victoire: un jugement rendu jeudi a démoli l'accord d'harmonisation signé avec les États-Unis dans la foulée des attentats terroristes du 11 septembre 2001. À moins d'en appeler, le Canada devra récrire sa loi.
Cet accord, c'est celui dit des «pays tiers sûrs». Le Canada l'a signé avec les États-Unis mais avec aucun autre pays de la planète. Il prévoit qu'un réfugié ne peut demander l'asile que dans un ou l'autre de ces deux pays. Si cette personne a mis les pieds d'abord aux États-Unis (comme dans 40 % des cas avant l'entrée en vigueur de cette entente), elle doit y soumettre sa demande. Officiellement, ce règlement visait à mettre un terme au «magasinage» d'un pays d'accueil. Dans les faits, il a jugulé le flot des demandes d'asile au Canada.
Les groupes de défense des réfugiés se sont toujours opposés à cette entente en rappelant que les États-Unis avaient une politique d'accueil beaucoup plus sévère. Dans les années 80, lorsque les États-Unis soutenaient plusieurs dictatures sud-américaines, ils refusaient le statut de réfugié aux ressortissants de ces pays alors que le Canada les acceptait.
Ces groupes se sont donc adressés à la Cour fédérale et ont gagné jeudi. Dans son verdict de 124 pages, le juge Michael Phelan pose un jugement lapidaire: les États-Unis ne devraient pas être considérés comme un pays sûr. Pourquoi? Parce qu'ils ne respectent pas la Convention contre la torture, notamment en retournant des personnes dans leur pays d'origine même si elles risquent d'y être maltraitées. Le juge Phelan rappelle le célèbre cas de Maher Arar, renvoyé par Washington vers les salles de torture syriennes.
«Bien qu'il ne s'agisse pas ici de juger la cause Maher Arar, écrit le juge, la cour prend note des conclusions du rapport Arar. Même si les États-Unis n'ont pas participé aux travaux, ils ont signalé à la commission qu'ils respectaient l'article 3 de la Convention contre la torture. Les faits entourant le cas Arar nous fournissent des raisons de douter sérieusement de cette affirmation.»
Plus loin, le juge écrit que le gouvernement canadien a eu tort de tenir pour acquis que les États-Unis s'acquittaient de leurs obligations internationales en matière de lutte contre la torture. En conclusion, écrit-il, «les politiques et les pratiques des États-Unis ne répondent pas aux conditions établies permettant au Canada de conclure [avec eux] une entente sur les pays tiers sûrs».
Les États-Unis ont répliqué hier soir par la bouche de leur ambassade. «Nous avons un bilan reluisant en matière d'accueil et de protection des réfugiés, de défense des droits de la personne et de respect de nos obligations découlant de traités. C'est pourquoi les États-Unis accueillent plus de réfugiés que n'importe quel autre pays au monde et restent un havre de paix et d'espoir.»
Pas de changement immédiat
Pour le moment, ce jugement n'a aucun impact: le juge Phelan a accordé aux parties jusqu'au 14 janvier pour lui faire des recommandations d'ordonnance. La Loi sur les pays tiers sûrs sera-t-elle abrogée? Ottawa portera-t-il la cause en appel? «Nous soupesons nos options», a indiqué une porte-parole au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
«Je suis très heureuse d'assister à cette intervention de la part de la Cour fédérale», a lancé Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour le statut de réfugié, à l'origine de cette cause.
Avec l'entente sur les pays tiers sûrs, très peu de demandeurs arrivés au Canada par la voie terrestre sont acceptés. Une personne qu'on sait avoir d'abord séjourné aux États-Unis est immédiatement refoulée à la frontière. Les États-Unis emprisonnent les demandeurs plus souvent que ne le fait le Canada. La réunification familiale est devenue plus difficile.
«Cette entente a été signée pour tenter de réduire le nombre de réfugiés au Canada, et ç'a marché», déplore Joseph Allen, président de l'Association des avocats en droit de l'immigration.
«Un grand nombre d'Haïtiens sont tout simplement refusés aux États-Unis. Même s'ils ont vécu là-bas quelques années, on les ôte à leurs enfants, ceux-ci étant placés dans des centres d'hébergement, et ils sont expédiés en Haïti», ajoute M. Allen. «Le Canada ne retourne personne à Haïti à cause des risques.»
À la Chambre des communes, ce jugement a eu des échos. «Comme cette entente contreviendrait à la Charte canadienne et aux conventions internationales que le Canada a signées, le ministre entend-il renégocier les termes de cette entente?», a lancé la bloquiste Meili Faille. Le gouvernement s'est limité à dire, comme c'est toujours le cas dans ce genre de dossier, qu'il devait d'abord analyser le jugement.
Du côté du NPD, on s'est déjà fait une idée: cette entente doit être annulée. «Vous savez ce que le juge a fait?, a lancé le chef Jack Layton. Il a fait ce que Stephen Harper refuse de faire, soit de renoncer au style George W. Bush quand vient le temps de traiter de questions internationales et d'affirmer l'indépendance et l'autonomie canadiennes.»
L'entente, conclue en principe en décembre 2001, est entrée en vigueur en décembre 2004. Le nombre de demandeurs du statut de réfugié est alors passé d'environ 19 000 à moins de 15 000.
Hier, les libéraux se sont défendus d'avoir adopté cette mesure par réflexe sécuritaire. «Nous avons été aspirés dans cette nouvelle ère de sécurité et de coopération, a expliqué le député Omar Alghabra. À l'époque, c'était sensé. Maintenant que nous avons testé ce régime pendant quelques années, il serait normal de faire un retour en arrière et d'apprendre de nos erreurs, des lacunes de l'entente, et de la revoir.»