La Presse
Le Canada resserre ses contrôles aux frontières et chasse de plus en plus d'étrangers qui, pour la grande majorité, ne sont ni des criminels, ni des terroristes. Or, parmi ces milliers d'expulsés, il en est qui seront emprisonnés et maltraités après leur retour forcé dans leur pays.
Le nombre d'étrangers renvoyés du Canada a atteint un record l'année dernière, soit 12 617 personnes, selon le rapport annuel que vient de déposer l'Agence des services frontaliers au Parlement canadien. Il s'agit d'une forte augmentation depuis 2001, alors qu'il y avait eu 9165 renvois.L'expulsion de l'imam Saïd Jaziri vers son pays natal, la Tunisie, était donc loin de constituer une exception, même si elle a fait les manchettes cet automne. Le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, se félicite du resserrement des contrôles et des renvois. Cette tendance inquiète des groupes de défense des droits de la personne, comme Amnistie internationale.
Une partie des personnes expulsées en 2006, environ 16%, avaient des dossiers criminels. Mais en grande majorité, il s'agissait d'étrangers qui se sont vu refuser la demande d'asile politique. Réagissant à un article intitulé «Le Canada: un paradis pour les vilains», M. Day a rappelé ces faits dans une lettre publiée en octobre dans The Economist, un hebdomadaire britannique très influent.
«Nous avons déployé un nombre plus important d'agents de l'immigration dans le monde entier afin de mettre fin au trafic d'êtres humains, a écrit le ministre. Travaillant avec nos partenaires internationaux, ces agents ont intercepté plus de 4500 personnes qui n'avaient pas les bons documents de voyage, en 2006-2007.
«Le Canada a renvoyé plus de 12 000 étrangers, dont près de 2000 étaient des cas prioritaires impliqués dans la criminalité. Nous avons aussi augmenté de façon constante le renvoi de demandeurs d'asile qui ont été déboutés, de 5900 en 2001 à 9300 en 2006... Le Canada a travaillé et continuera à travailler en étroite collaboration avec les États-Unis pour s'assurer que notre frontière commune soit fermée aux terroristes, mais ouverte au commerce légitime et aux voyages.»
Les contrôles plus serrés à l'étranger et à la frontière américaine ont contribué à faire chuter de moitié le nombre de demandeurs d'asile. En 2001, le nombre de revendicateurs du statut de réfugié s'était élevé à 44 714. L'année dernière, il était tombé à 22 887. Dès 2001, les budgets ont été augmentés pour les arrestations, les détentions et les expulsions.
Changement fondamental des politiques
«Depuis 2001, et particulièrement depuis l'élection du gouvernement de Stephen Harper, on assiste à un changement fondamental dans la politique canadienne envers les droits fondamentaux des personnes, note Claudette Cardinal, responsable des dossiers de réfugiés à la section canadienne francophone d'Amnistie internationale. Le Canada est de moins en moins ouvert à respecter ses obligations internationales. Le respect des droits de l'homme semble de moins en moins important.»
Amnistie et d'autres groupes ne s'opposent pas à ce que les faux réfugiés soient expulsés. Mais, selon eux, plusieurs vrais réfugiés sont renvoyés chez eux, alors qu'ils risquent d'être arrêtés et maltraités à leur retour (voir notre autre article). «Les réfugiés sont associés à tort aux risques pour la sécurité nationale», déplore Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés.
Toujours en 2001, le gouvernement canadien a adopté une nouvelle loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Jusqu'alors, les demandeurs de statut de réfugié pouvaient faire valoir leur cause devant deux commissaires de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il suffisait qu'un commissaire sur deux accepte la demande pour que le statut de réfugié soit accordé.
Cette procédure a été annulée. Un seul commissaire prend la décision. En échange, la nouvelle loi prévoyait la création d'un mécanisme d'appel, tel qu'il en existe aux États-Unis et dans la plupart des pays européens. Mais cette disposition n'est jamais entrée en vigueur. «Notre choc était total, quand on a vu que le nombre de commissaires était diminué de deux à un, mais que cette perte n'était pas comblée par un processus d'appel», souligne Mme Dench.
Le Bloc québécois a présenté un projet de loi obligeant le gouvernement à mettre en vigueur le mécanisme d'appel. Soutenu par le Nouveau Parti démocratique et par la majorité des députés libéraux, le projet de loi a été adopté en juin. Mais il tarde à être approuvé par le Sénat. «Les sénateurs conservateurs vont probablement faire obstruction», prévoit Meili Faille, députée du Bloc et vice-présidente du comité des Communes sur l'immigration.
http://www.cyberpresse.ca/article/20071109/CPACTUALITES/711090781/5358/CPPRESSE