Thursday, June 7, 2007

Fanta, 2 ans, menacée de mutilation

« Dès que je commence à en parler, je pleure », a dit la jeune femme à La Presse d’une voix hésitante, hier. (Photo Alain Roberge, La Presse) Agrandir l'image
« Dès que je commence à en parler, je pleure », a dit la jeune femme à La Presse d’une voix hésitante, hier.
Photo Alain Roberge, La Presse


Caroline Touzin

La Presse

En Guinée-Conakry, les filles qui ne se font pas exciser sont une exception. Oumou Touré n’y a pas échappé. Mais elle a réussi à fuir son mariage forcé et sa belle-mère exciseuse.

Au Canada depuis quatre ans, elle craint aujourd’hui que sa fillette de 2 ans ne soit mutilée à son tour si toutes deux sont expulsées du pays.

« Dès que je commence à en parler, je pleure », a-t-elle dit à La Presse d’une voix hésitante, hier, après une conférence de presse où elle a été incapable de prendre la parole. Pendant la conférence, Mme Touré, 24 ans, se tenait à l’écart, son fils de 9 mois, John-Fodé, endormi sur son dos. Sa fillette, Fanta, courait et riait dans la salle de l’église St. James.

La jeune mère de famille a épuisé presque tous ses recours. Plusieurs groupes, dont l’Église unie du Canada, Amnistie internationale et la Fédération des femmes du Québec lui prêtent main-forte. Ils demandent à la ministre de l’Immigration, Diane Finley, de se servir de son pouvoir discrétionnaire pour lui accorder un sursis, le temps qu’une nouvelle demande ne soit étudiée. Son expulsion est prévue pour le début du mois de juillet. Au bureau de la ministre, hier, on était avare de commentaires. « Il ne serait pas convenable d’émettre des commentaire sur un cas précis », a dit son attaché de presse, Stéphane Mailhot.

Mme Touré est entrée illégalement au pays avec l’aide d’une passeuse en novembre 2003. Sa demande pour obtenir le statut de réfugié a été refusée en décembre 2004. Elle a accouché de Fanta deux semaines plus tard. Pour éviter l’expulsion, elle a demandé un examen des risques avant renvoi. Autre échec. « La cliente n’a pas réussi à prouver de façon convaincante sa situation personnelle de persécution, soit l’existence de son mari et de sa belle-mère », explique le porte-parole d’Immigration Canada, Stéphane Malépart.

Dans l’intérêt de l’enfant

Troisième tentative : demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. Aussi refusée. Elle a ensuite porté sa cause devant la cour fédérale. La cour a statué que les intérêts de l’enfant avaient été pris en compte. Cela fait bondir le Bureau international des droits des enfants qui appuie la cause de Mme Touré. « L’excision est une grave atteinte à la dignité humaine », dit sa porte-parole, Catherine Gauvreau.

Le nouvel avocat de Mme Touré, Me Rick Goldman, explique ces multiples refus par le court dossier préparé par son prédécesseur, avocat de l’Aide juridique.

«Quand tu es payé 150 $ pour un dossier qui devrait prendre entre 30 et 40 heures à monter, on ne peut le blâmer », a-t-il dit. Me Goldman s’est chargé de faire une seconde demande pour des motifs humanitaires. Hier matin, il disait craindre que
Mme Touré ne soit expulsée avant que la demande ne soit traitée. En après-midi, il a reçu une bonne nouvelle. Une rencontre avec Immigration Canada aura lieu cette semaine. « On traite ce genre de situation-là avec beaucoup de compassion et le plus rapidement possible », dit M. Malépart, d’Immigration Canada.

Le père des deux enfants nés au Canada n’est pas dans le décor. Sa famille, c’est sa colocataire dans leur appartement du quartier Parc-Extension à Montréal, aussi originaire de la Guinée-Conakry. Et sa psychologue, Sylvie Laurion. « Ce qui m’a frappée, c’est sa peur, proche de la terreur », raconte-t-elle.

En Guinée-Conakry, la mère d’Oumou a tout fait pour empêcher qu’on lui coupe le clitoris. Mais à sa mort – Oumou avait 19 ans –, la jeune femme n’avait plus personne pour la protéger. La première femme de son père polygame s’est empressée de l’exciser. Puis, elle a organisé un mariage forcé. « Les conditions de servitude qu’elle a vécues après la mort précoce de sa mère l’ont rendue très vulnérable », indique la psychologue.

Si Mme Touré est expulsée, ses deux enfants pourraient théoriquement rester au pays. « Jamais une mère ne devrait être obligée de se séparer de ses enfants pour les protéger de la violence », a lancé la présidente de la Fédération des femmes du Québec, Michèle Asselin. Si la jeune mère reste, elle espère trouver un travail. Quel travail ? « À l’école, j’aimais la chimie. Ma belle-mère m’a sortie de l’école. J’ai appris la couture. Je suis bonne à la couture », dit la jeune mère

http://www.cyberpresse.ca/article/20070606/CPMONDE/70605229/5358/CPPRESSE