Wednesday, June 13, 2007

Le profilage ethnique sévirait aux frontières

Joël-Denis Bellavance

La Presse

Ottawa

Le profilage ethnique est monnaie courante aux différents points d'entrée du pays depuis les attentats du 11 septembre 2001. Et les autorités canadiennes essaient tant bien que mal de balayer ce problème sous le tapis.

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C'est du moins ce qui ressort des consultations menées par le ministère de la Sécurité publique auprès de membres des communautés ethnoculturelles dans quatre villes canadiennes au cours des derniers mois.

Des représentants des agences responsables de la sécurité nationale ont participé à ces consultations, qui ont eu lieu à Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver entre octobre et février derniers. Et ils se sont fait chauffer les oreilles par les membres des communautés ethniques.

La Presse a obtenu récemment un résumé d'une cinquantaine de pages de ces consultations grâce à la Loi sur l'accès à l'information. De toute évidence, les participants ne se sont pas gênés pour exprimer leur frustration à l'égard de la surveillance accrue dont ils font l'objet depuis septembre 2001.

Durant les consultations, menées par la firme de sondage EKOS au nom du ministère de la Sécurité publique pour la somme de 143 000$, des représentants de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), du Service canadien de renseignements et de sécurité (SCRS), de l'Agence des services frontaliers du Canada et du ministère de la Justice ont fait des présentations. Ils ont notamment soutenu que les agences responsables de la sécurité ne ciblent aucun groupe racial en particulier aux points d'entrée du pays.


Incrédulité et colère


Les membres des communautés ethniques ont accueilli ces propos avec incrédulité, selon le résumé. «Plusieurs participants ont décrit ces affirmations des autorités canadiennes comme étant «fausses». Ils se sont dits «insultés» et «enragés» de les entendre.»

«Avant le 11 septembre, je n'ai jamais été arrêté à la frontière. Maintenant, notre voiture se fait fouiller de fond en comble. On me dit de sortir de la voiture. Les soupçons envers nous ont tout simplement augmenté», a dit un participant.

«Je vis ici depuis 30 ans... 30 ans! Je suis enseignante, mère, bénévole, et je crois que je contribue énormément à la construction de ce pays. Peut-être devrais-je simplement hausser les épaules parce que c'est toujours moi qui fais l'objet d'une surveillance accrue aux aéroports, mais des fois, je ne peux pas», a lancé une femme.


Comme durant la Deuxième Guerre


Certains n'ont d'ailleurs pas hésité à comparer ce qu'ils vivent depuis six ans à d'autres épisodes peu glorieux de l'histoire du Canada, notamment l'internement des Canadiens d'origine japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale. Selon eux, les autorités canadiennes tombent dans l'excès et foulent aux pieds des principes chers aux Canadiens, telles l'égalité et la tolérance, pour se défendre contre une menace terroriste souvent exagérée ou encore pour plaire aux Américains.

«Nous n'avons rien appris de l'histoire. Les Noirs ont été ciblés, ensuite les Chinois, les Juifs, et maintenant ce sont les musulmans», a notamment affirmé un participant.

Le Canada sera-t-il la cible d'un attentat terroriste un jour? À cette délicate question, certains participants n'ont pas hésité à répondre oui. Mais ils croient que ce sera imputable aux changements apportés par le gouvernement canadien à sa politique étrangère, plus proche de celle des États-Unis et d'Israël.

«Je crois que l'on se berce d'illusions si on croit qu'on est pas sur le radar (des terroristes)», a affirmé un participant. «Il y a plus de doutes aujourd'hui. Nous sommes passés de la politique du maintien de la paix à une politique de guerre», a soutenu un autre.

En réponse aux craintes de certaines communautés culturelles au sujet des mesures prises par le Canada pour assurer la sécurité nationale après les attentats aux États-Unis, le gouvernement Martin a créé en février 2005 la Table ronde transculturelle sur la sécurité. Cet organisme a pour mandat «de faire participer les Canadiens et Canadiennes et le gouvernement du Canada à un dialogue soutenu sur la sécurité nationale au sein d'une société pluraliste et diversifiée».

Il doit aussi conseiller les ministres de la Sécurité publique et de la Justice sur les questions de sécurité nationale. De toute évidence, la création de cet organisme n'a pas réussi à rassurer les communautés culturelles.

Selon le directeur général de la Fédération canado-arabe, Mohamed Boudjenane, qui a participé aux consultations à Toronto, beaucoup de Canadiens d'origine étrangère doivent composer avec une nouvelle sorte de discrimination: le profilage ethnique aux points d'entrée du pays. Il a d'ailleurs soutenu que les consultations étaient une véritable «perte de temps».

«C'était un exercice complètement futile dans le sens où on a tenté d'expliquer aux gens que les agences de sécurité canadiennes sont là pour aider les communautés, alors que, en pratique, la discrimination continue, le profilage racial continue, le SCRS continue à questionner des musulmans ou des gens d'origine arabe régulièrement», a affirmé M. Boudjenane.

Il a ajouté que les agences doivent de toute urgence offrir des cours à leurs employés afin qu'ils comprennent mieux les sensibilités culturelles et religieuses des personnes d'origine étrangère.


La faute au 11 sepembre


«Le profilage ethnique a augmenté depuis les attentats aux États-Unis. Le 11 septembre 2001 a été quasiment une carte blanche donnée aux agences de sécurité pour faire ce qu'elles veulent. Elles se sont un peu refroidies, notamment après le rapport sur Maher Arar, mais ça continue», a dit M. Boudjenane.

Dans un sondage réalisé par son organisation auprès de 467 personnes de foi musulmane, 8% d'entre elles ont dit avoir été interrogées par les agences de sécurité et 43% d'entre elles ont dit connaître quelqu'un qui a été interrogé.

Toutefois, M. Boudjenane a expliqué qu'il s'agit d'un problème dont l'ampleur réelle est difficile à quantifier. «Il est difficile de compiler les plaintes. Les gens ont peur, surtout quand ils se font interroger par la GRC ou le SCRS et qu'ils se font dire qu'ils n'obtiendront pas leur citoyenneté s'ils ne collaborent pas, par exemple», a-t-il dit.

http://www.cyberpresse.ca/article/20070611/CPACTUALITES/706110495/5358/CPPRESSE