Friday, June 8, 2007

La police au secours d'un saisonnier

Le jeudi 07 juin 2007

Un policier de la Régie intermunicipale de la police de Roussillon a récupéré la carte d'assurance maladie d'Andres Rosas à la ferme Les Vivaces Marie-Michel, de Saint-Constant. (Photo Ivanoh Demers, La Presse)
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Un policier de la Régie intermunicipale de la police de Roussillon a récupéré la carte d'assurance maladie d'Andres Rosas à la ferme Les Vivaces Marie-Michel, de Saint-Constant.
Photo Ivanoh Demers, La Presse

André Noël

La Presse

Très souffrant depuis un accident de travail survenu il y a un mois, un ouvrier agricole mexicain a fait appel à la police, hier, pour récupérer sa carte d'assurance maladie afin d'être soigné. Andres Rosas, 29 ans, affirme que le propriétaire de la ferme, Les Vivaces Marie-Michel, a refusé de la lui remettre malgré ses demandes répétées.











Michel Desgroseillers, le propriétaire de cette ferme de Saint-Constant, située au sud-ouest de Montréal, a remis la carte de M. Rosas au policier. Il a ensuite affirmé à La Presse que M. Rosas ne la lui avait jamais demandée. «Il n'avait qu'à la demander pour l'avoir, a-t-il dit. Quel intérêt aurait-on à vouloir garder un tel document?»

Andrea Galvez, membre du Centre d'appui aux travailleurs agricoles migrants (CATA), affirme de son côté que plusieurs patrons de ferme gardent avec eux les pièces d'identité des ouvriers mexicains et guatémaltèques, de façon à accroître leur contrôle sur leurs allées et venues. Selon elle, il ne s'agit pas là d'un incident isolé.

«Cette pratique est très répandue, même si elle viole de façon flagrante le Code criminel, a-t-elle dit (voir autre texte). Nous avons documenté plusieurs cas où des travailleurs subissent des accidents du travail ou tombent malades, mais ne réussissent pas à avoir leur carte d'assurance maladie. Très souvent, ils sont renvoyés au Mexique ou au Guatemala dès qu'ils se plaignent et sans être soignés. C'est même arrivé à un ouvrier qui avait une fracture du crâne.»

Le patron et son ouvrier ont raconté des versions des événements diamétralement opposées. M. Desgroseillers nie qu'un accident de travail soit survenu. Il a souligné qu'il a amené M. Rosas deux fois à l'hôpital au mois de mai, mais qu'aucune blessure n'a été diagnostiquée. Il dit qu'il était prêt à retourner avec lui dans un CLSC hier matin, mais que M. Rosas s'est «sauvé» avant que sa secrétaire aille le chercher. Il affirme que c'est à sa demande qu'il gardait sa carte d'assurance maladie dans ses bureaux.

M. Rosas soutient de son côté qu'une bosse douloureuse est apparue sur son nombril après que son patron l'eut obligé à soulever une charge très lourde, soit des palettes de bois remplies de plantes. Il dit qu'il a dû insister plusieurs fois pour aller à l'hôpital. On l'y a amené seulement trois jours après l'accident, survenu le 6 mai.

Ne parlant ni français ni anglais, il n'a pas pu expliquer ce qui a causé sa blessure aux médecins et se faire comprendre par eux, ajoute-t-il. On lui a prescrit un laxatif alors qu'il avait une hernie très douloureuse. Celle-ci n'a pas été traitée, soutient-il. Il dit qu'il n'a jamais autorisé son patron à garder sa carte d'assurance maladie.

M. Rosas a demandé l'aide du CATÀ à la fin mai. Andrea Galvez avait obtenu un rendez-vous avec un médecin de Montréal pour aujourd'hui, mais le jeune ouvrier lui a téléphoné mardi, lui disant qu'il n'en pouvait plus. Il avait très mal et voulait être soigné plus vite. Mme Galvez lui a dit qu'il devait récupérer sa carte d'assurance maladie.

Hier matin, elle est allée le chercher à la ferme. M. Rosas n'avait toujours pas sa carte, même si, a-t-il dit, il avait tenté pour la énième fois de la récupérer. Mme Galvez l'a amené à une clinique médicale de Saint-Constant, où un médecin a accepté de le recevoir sans sa carte.

Le Dr Daniel Poulin et un de ses collègues ont diagnostiqué une hernie incarnée, qui peut être provoquée par un effort extrême. La blessure est très visible: le nombril du patient est anormalement enflé. Le médecin a signé une ordonnance afin qu'il subisse une opération chirurgicale rapidement. Il a aussi signé une réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et ordonné un arrêt de travail.

Mme Galvez et M. Rosas se sont ensuite rendus à la Régie intermunicipale de police Roussillon et ont demandé qu'un policier aille chercher la carte d'assurance maladie à la ferme. Muni de sa carte, le jeune homme, père de deux enfants, s'est fait reconduire à l'hôpital Notre-Dame, à Montréal. Il a l'intention de déposer une plainte criminelle contre son propriétaire, pour rétention illégale de document.

Un journaliste de La Presse a rencontré pour la première fois M. Rosas dimanche dernier, à Saint-Rémi, alors qu'il était venu voir les membres du CATÀ près du centre commercial. Pendant l'entrevue, il essayait en vain de retenir ses larmes et devait régulièrement s'essuyer les yeux. Il affirme que le fils du patron lui a suggéré de crever son hernie avec un clou, une allégation qu'a niée catégoriquement M. Desgroseillers.

«Je ne comprends rien à cette histoire, a dit le patron, hier. Mardi, la secrétaire a offert à M. Rosas de retourner voir le médecin. Un rendez-vous a été pris, mais M. Rosas s'est sauvé avant qu'on aille le chercher. À l'hôpital de Châteauguay, on a dit qu'il n'avait rien, mais lui, il dit qu'il a eu un accident de travail. Il soutient qu'il a soulevé des palettes de bois trop lourdes, mais pourquoi lui aurait-on demandé un tel effort? On a un chariot élévateur pour ce genre de tâche.»

http://www.cyberpresse.ca/article/20070607/CPACTUALITES/706070602/5155/CPACTUALITES