Tuesday, October 9, 2007

Une grenade avec ça?

Alain Dubuc

Collaboration spéciale, La Presse

Grande nouvelle. Nos douaniers seront enfin armés. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Stockwell Day, a présenté, mercredi au poste de Lacolle, les 26 premiers agents québécois à avoir suivi la formation leur permettant d'accrocher fièrement un révolver à la ceinture.

Je me demande encore à quoi ça servira. Qu'est ce qu'un fonctionnaire, dont la tâche principale consiste à demander aux milliers de Canadiens qui reviennent chez eux combien ils rapportent de bouteilles de boisson, pourra bien faire avec un gun? Pourquoi pas des grenades? Et ce n'est que le début. S'il n'en tient qu'au ministre, d'ici six ou sept ans, l'ensemble des 4800 douaniers canadiens seront armés. Cette mesure, parfaitement inutile tant qu'il n'y aura pas un changement majeur dans la vocation et le fonctionnement des douanes, illustre l'absurdité de notre système de protection frontalière.

L'idée d'armer les douaniers résulte d'une convergence assez rare entre deux cultures antinomiques. D'une part, une culture syndicale qui milite depuis des années pour que ses membres soient armés, comme leurs vis-à-vis américains, pour des raisons de sécurité, mais beaucoup pour le statut que confère le port d'armes, et les salaires qui viennent avec. D'autre part, une culture conservatrice de loi et d'ordre, pour qui un douanier armé est un symbole tangible de l'engagement du gouvernement pour un Canada musclé.

Système lourd et coûteux


Mais ça va donner quoi? Pas grand-chose, sinon un sentiment factice de sécurité pour les douaniers. On le voit bien en regardant une à une les fonctions d'un douanier.

À l'heure actuelle, la fonction première de nos douanes est la perception fiscale. Le gros du temps et de l'énergie des douaniers est consacré à débusquer les achats excessifs des Canadiens à l'étranger, et surtout, vérifier la quantité de tabac et d'alcool qu'ils rapportent.

Ce système de perception est lourd et coûteux. Et ce type de taxation, qui remonte à l'antiquité, a perdu son sens économique dans un monde de libre-échange. Et, pour revenir à notre sujet, faut-il un pistolet pour vérifier les emplettes aux USÀ des touristes canadiens?


Porosité de la frontière


Bien sûr, les douanes ont des fonctions plus nobles, comme la sécurité et la protection du territoire. Mais nous savons bien que ce n'est pas la perspicacité des douaniers aux postes frontières qui nous protège de la drogue, des armes ou des terroristes, mais bien davantage les enquêtes policières. Armer les douaniers ne sera donc pas d'un grand secours. Pas plus que pour l'autre fonction essentielle, le contrôle de l'immigration, où les douaniers jouent un rôle très utile.

On est saisi de la même perplexité quand on regarde non pas les fonctions des douaniers, mais leur lieu d'activité. Il y a deux types de point d'entrée au Canada, aériens et terrestres. Dans le cas des aéroports, par définition, la clientèle que rencontrent les douaniers sort des avions et a donc été contrôlée au lieu de départ. De toute façon, ce ne sont pas les douaniers dans leurs cubicules qui assurent la sécurité des aéroports.

La seule utilité potentielle des armes à feu serait donc aux postes terrestres. Mais la géographie particulière du Canada fait qu'il a un seul voisin, les États-Unis. Il est vrai que ce pays, marqué par le 11 septembre, se plaint, à tort, de la porosité de la frontière canadienne. Mais les armes de nos douaniers ne serviront pas à contrôler ce qui entre aux É.-U., mais plutôt ce qui en sort. Drôle de paradoxe.


Concilier sécurité et fluidité


Mais en plus, en armant nos douaniers, on contribuera à rendre la frontière canado-américaine moins conviviale. Déjà, les Américains, paranoïaques, multiplient les signaux: douaniers plus hostiles, contrôles protectionnistes, et bientôt, obligation du passeport. Nous prenons le même chemin, celui de construire un mur entre deux pays amis liés par le libre-échange.

Tout cela nous éloigne de la résolution du principal défi dans la gestion des points d'entrée, concilier la sécurité et la fluidité. Les États-Unis, dans leur délire, et le Canada, dans sa bureaucratie, ont créé une situation absurde. Des attentes inacceptables à nos aéroports, des files interminables aux postes frontière, d'autant plus irritants que l'on peut traverser une douane européenne en quelques secondes.

C'est tout cela qu'il faut repenser. Réduire au maximum les fonctions inutiles de perception fiscale, en augmentant sensiblement les plafonds d'achat à l'étranger, pour que les citoyens n'aient rien à déclarer et puissent entrer avec le moins de contrôle possible. Pour redéployer les énergies des douaniers là où elles sont nécessaires, le contrôle de l'immigration, la protection des points d'entrée actuellement sans surveillance, et les enquêtes, où, peut-être, une arme sera utile.

http://www.cyberpresse.ca/article/20071005/CPOPINIONS05/710050750/5034/CPOPINIONS