Tuesday, February 6, 2007

Retour du balancier à Hérouxville

Le lundi 05 février 2007

ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES
Retour du balancier à Hérouxville
Mario Girard

La Presse

Après les courriels élogieux et les tribunes téléphoniques enflammées, les élus d’Hérouxville connaissent le retour du balancier. D’un côté, le président de Solidarité rurale désapprouve cette initiative. De l’autre, les communautés culturelles s’inquiètent de la tournure de ce débat.

« Quand t’es un leader d’une municipalité et que tu as des responsabilités, tu ne peux pas participer à un dérapage semblable, a déclaré à La Presse le président de Solidarité rurale, Jacques Proulx. Mêler les boules de Noël avec le port de la burqa et la lapidation, faut être, jusqu’à un certain point, ignorant de tout ce qui s’est fait. »

Le représentant des villages du Québec croit que l’initiative d’Hérouxville est, au bout du compte, une très mauvaise idée.

« C’est sûr qu’une affaire comme celle-là nuit à l’image du milieu rural, dit-il. Ça nourrit les préjugés. »

En défendant son fameux « code de vie », le conseiller André Drouin, à l’origine de ce projet, a souvent répété qu’il répondait ainsi aux attentes et aux besoins « du peuple ». Jacques Proulx a du mal avec ce concept.

« Le populisme, tu peux faire n’importe quoi avec ça, dit-il. Ce n’est pas parce que la population dit telle chose que tu dois aller dans ce sens. Moi, j’appelle ça de la démagogie. Ça devient dangereux. Quand je regarde la façon dont Jean-Marie Le Pen s’est imposé en France, ça me fait craindre le pire. »

Tout le monde l’a vu

On avait beaucoup lu ses propos, on l’avait peu vu et entendu. Hier soir, les centaines de milliers de téléspectateurs de Tout le monde en parle ont pu se faire une meilleure opinion de celui qui a eu l’idée des fameuses « normes » d’Hérouxville.

« Quand vous êtes chez vous, je vous dis : voici comment ça run, la shop, chez nous », a déclaré le conseiller André Drouin afin d’expliquer sa démarche.

Selon lui, cette initiative reçoit l’appui d’une majorité de Québécois. « Quatre-vingt-quinze pour cent du peuple semble être d’accord avec ça à 100 % », a-t-il ajouté devant des Guy A. Lepage et Dany Turcotte éberlués.

Malgré la controverse des derniers jours, les intentions d’André Drouin n’ont pas changé. « En quatre jours, Hérouxville a fait le tour du monde. Si le gouvernement n’est pas capable en cinq secondes d’envoyer cinq pages dans le monde, y a un problème », a-t-il dit afin d’exprimer son souhait de voir le ministère de l’Immigration adopter ses « normes ».

Les communautés culturelles inquiètes

En entrevue à La Presse, quelques leaders des communautés culturelles et religieuses de Montréal ont exprimé leurs inquiétudes face au « dérapage » de l’initiative des élus d’Hérouxville.

« Le débat sur les accommodements raisonnables a été jusqu’ici civilisé, dit Saïd Jaziri, imam de la mosquée Al Qods, à Montréal. Mais avec l’affaire Hérouxville, ça a dérapé. Ce n’est pas à eux de changer la charte. »

M. Jaziri dit que le débat qui fait rage depuis des jours a gagné les membres de sa communauté. « Les gens ont peur d’être méprisés. Ils sont dans le doute et vivent de l’inquiétude. Ils croient en la tolérance des Québécois et espèrent que tout cela sera passager. »

Steven Slimovitch, porte-parole de l’organisme juif B’nai Brith, craint que cette affaire prenne encore plus d’ampleur. « C’est sûr que, quand nous avons lu la déclaration d’Hérouxville, même si on n’était pas ciblé directement, on a été choqués. On ne voudrait pas que tout cela aille trop loin. »

D’autres, comme Leila Bdeir, membre de Présence musulmane Montréal, pensent que ce type d’expérience peut rendre les gens plus « rigides » et davantage méfiants. « Je pense que, dans l’ensemble, les débats sont sains, dit-elle. Le hic, avec celui-ci, c’est qu’il survient quelques jours après la publication d’un sondage controversé. Bref, on n’est pas en mesure d’avoir un débat constructif, actuellement. »

De son côté, Salam Elminyawi, président du Conseil des musulmans, n’est pas prêt à blâmer les élus d’Hérouxville pour leur action. Il pense même que ce débat est nécessaire. « Nous sommes un pays qui a avancé à travers des débats. Nous vivons en ce moment quelque chose d’important qui mérite une attention particulière. »

La lieutenant-gouverneure s’exprime

Normalement discrète sur ce genre de chose, la lieutenant-gouverneure du Québec, Lise Thibault, s’est exprimée sur les exigences de quelques groupes ethniques ou religieux et la vague de mécontentement qu’elles suscitent chez certains Québécois.

« Ce n’est pas un problème politique, mais humain. Certaines de ces personnes quittent leur pays parce qu’elles ne sont plus capables d’y rêver et parce qu’elles rêvent au nôtre », a-t-elle dit.

Malgré tout, elle juge que chacun doit y mettre du sien. « Il faut faire des concessions et éviter une vue à court terme. Dans deux ou trois générations, ces gens qui nous semblent différents aujourd’hui seront devenus comme nous. Il suffit d’y mettre un peu d’amour et de tolérance », estime-t-elle.

– Avec la Presse Canadienne