Le Journal de Montréal
20/04/2007 07h40
«J'aurai même pas pu rêver de ça, c'est ma vie qui peut se jouer avec cette lettre», s'est exclamé Charkaoui, lorsqu'il a pris connaissance hier de son contenu en compagnie d'une de ses avocates, Dominique Larochelle, et de son père.
Sonné, le Montréalais est passé alors par toutes les gammes d'émotions.
Drogué au crack
Cela fait depuis 2003 que ses deux avocates, Mes Larochelle et Doyon, réclament le droit de contre-interroger Ressam. Surtout parce qu'elles et leur client n'ont jamais accordé beaucoup de crédibilité aux dénonciations en rafale de Ressam. Un paumé «drogué au crack», mentionne Charkaoui.«Si j'étais à sa place, je comprends qu'il a essayé de leur faire plaisir. Il a été questionné pendant des heures, il avait certainement peur, il a dit n'importe quoi.»
Cette rétractation viendrait donc, dit-il, conforter sa thèse.
Selon la preuve rendue publique, Ressam n'aurait pas été le seul à reconnaître Adil Charkaoui sur des photos de filature.
Deux autres dénonciations
Deux autres figures avérées du terrorisme islamique l'auraient aussi dénoncé.
D'abord Noureddine Nfiâ, condamné à vingt ans de prison au Maroc pour son implication dans les attentats de Casablanca et Madrid. L'autre est Abou Zoubeida. Présenté comme le lieutenant de ben Laden, impliqué dans l'organisation des camps d'entraînement afghans, il est détenu, à Guantanamo ou dans une prison secrète.
«Nfiâ s'est rétracté lui aussi en 2005, explique Charkaoui. Dans une lettre, il a raconté avoir été kidnappé, torturé. On avait même menacé d'abuser de sa femme.»
L'avocate va agir
Que va-t-il se passer maintenant? Sans vouloir élaborer davantage, avec cet élément nouveau en main, Me Dominique Larochelle promet de ne pas en rester là.
«Chaque fois que l'on fait des découvertes de ce genre, j'arrive à marcher dans la rue avec la tête de plus en plus haute», se réjouit Adil Charkaoui.
Né en 1967 en Algérie, Ressam arrive en 1994 à Montréal avec un faux passeport français. Son statut de réfugié lui est refusé en 1995, mais il ne quitte pas le Canada.
En 1996, il emménage dans un appartement de la place de la Malicorne à Anjou en compagnie de trois autres Algériens. Très vite, les enquêteurs français les relient à une cellule islamiste internationale.
Au Canada, ces trafiquants de documents d'identité et cartes de paiement clonées sont longtemps considérés comme de simples petits voleurs sans envergure.
Ressam quitte le Canada en mars 1998 à destination du Pakistan avec un vrai passeport obtenu «légalement» sous une fausse identité. Il y rencontre Abou Zoubeida, proche lieutenant de ben Laden, puis franchit la frontière afghane et se rend au camp Khaldun.
Février 1999. Ressam revient à Montréal. Il a en poche un carnet de notes avec des instructions pour assembler une bombe ainsi que 12 000 $ pour acheter le matériel nécessaire.
17 novembre 1999. Ressam et A. Dahoumane s'installent dans un motel de Vancouver. Ils préparent leur bombe.
14 décembre 1999. Les deux Montréalais cachent les éléments de leur bombe dans le coffre d'une Chrysler 300. M. Dahoumane disparaît dans la nature. Ressam est arrêté quelques heures plus tard à la frontière.
Avril 2001. Ressam et quatre autres Montréalais du même réseau sont condamnés en leur absence à Paris à des peines variant de cinq à huit ans de prison pour activités terroristes. À la même époque, Ressam est reconnu coupable à Seattle pour son projet visant l'aéroport de Los Angeles. Il se met à collaborer.
27 juillet 2005. Ressam écope d'une peine de 22 ans de prison.
En novembre 2006, il écrit au juge John C. Coughenour à Seattle pour innocenter un autre Montréalais détenu à Guantanamo après sa capture en Afghanistan. En 2001, Ressam avait désigné Zemiri comme un de ses complices.
16 janvier 2007. La Cour d'appel fédérale de San Francisco renverse la condamnation de Ressam mais maintient le verdict de culpabilité. Un juge devrait statuer sur une nouvelle peine à imposer au Montréalais.