La Presse
Le dimanche 15 avril 2007
Gilles Toupin
Il y a au Canada, en ce moment, une dizaine de cas de demandeurs du statut de réfugiés qui, en désespoir de cause, ont trouvé asile dans des églises. Ces personnes, qu'elles soient Montréal, Ottawa, Winnipeg ou Terre-Neuve, vivent dans la peur.
Le gouvernement fédéral ne semble pas savoir quoi faire de ces cas. D'une part, la ministre de l'Immigration rejette quasi systématiquement les demandes d'admission pour raisons humanitaires. D'autre part, les autorités fédérales, craignant l'opprobre, n'interviennent généralement pas manu militari.
Le chiffre est officiel. Un porte-parole du minist re de la Citoyenneté et de l'Immigration l'a confirmé La Presse : «Il y a 10 situations de ce genre en cours. Dix situations o des réfugiés ont trouvé asile dans des églises» pour éviter d' tre renvoyés dans leur pays d'origine, o un sort tragique, dans bien des cas, les attend.
Le gouvernement fédéral ne tol re pourtant pas cela, m me si le principe remonte l'antiquité, une époque o l'on considérait comme sacril ge de violer la sainteté des églises en y saisissant quelqu'un par la force. «Il n'est pas prévu par la loi canadienne que les églises constituent un refuge», peut-on lire dans un document ministériel daté du 31 octobre 2006, que La Presse a obtenu grâce la Loi sur l'acc s l'information.
Or, pourquoi Abdelkader Belaouni, cet Algérien aveugle et diabétique, tourne-t-il en rond depuis 478 jours dans une église de Pointe-Saint-Charles? «Toutes les portes me sont fermées, affirme M. Belanoui La Presse. Environ 80 organismes me soutiennent ainsi que tous les partis de l'opposition Ottawa. Malgré cela, malgré les dangers que je cours si je rentre en Algérie, la ministre Diane Finley a encore refusé de me rencontrer la semaine derni re. J'ai le moral vraiment bas. Je suis fatigué. J'attends que la ministre consid re ma demande de demeurer au Canada pour des raisons humanitaires.»
Dans une église de Terre-Neuve, une famille israélienne d'origine russe dont les trois enfants sont Canadiens entretient les m mes espoirs que M. Belaouni. Comme la famille Raza Winnipeg, comme cette famille du Costa Rica qui vivote dans l'église St.Philip Neri, Toronto, ou comme Moti Nano, un Éthiopien de 34 ans qui s'est réfugié dans une église luthérienne évangéliste d'Ottawa. D'autres réfugiés, qui désirent demeurer anonymes, ont aussi recours en ce moment la protection d'une église.
Désobéissance civile
Abriter quelqu'un dans une église constitue un geste de désobéissance civile. Les autorités religieuses ne le font pas de gaîté de coeur. «C'est une démarche épuisante, sur le plan physique et affectif. C'est co teux, c'est pénible et, au bout du compte, c'est tout simplement ennuyeux. Mais lorsque nous prenons un engagement envers un réfugié, nous respectons cet engagement», a affirmé Heather Macdonald, de l'Église Unie du Canada, en novembre dernier, devant le Comité de la citoyenneté et de l'immigration des Communes.
Mais ceux qui donnent l'asile des réfugiés estiment que le processus de détermination du statut de réfugié au Canada n'est pas équitable. Il se sentent tenus de résister au caract re injuste de cette politique.
«Ce mouvement de conscience continuera - ça, je vous le garantis - tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas de mécanisme d'appel efficace dans le cadre du processus de détermination du statut de réfugié», a déclaré Mary Leddy le 2 novembre dernier devant le Comité de la citoyenneté et de l'immigration. Mme Leddy dirige la Maison Romero, une coalition pour les réfugiés dans le sud de l'Ontario.
Par exemple, lorsque Abdelkader Belaouni a présenté sa demande d'asile la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection du statut de réfugié avait été adoptée. M. Belaouni n'a eu droit, en conséquence, qu' un seul commissaire pour l'entendre. Et ce commissaire, selon la députée bloquiste Meili Faille, avait un taux de rejet des demandes de 100 %.
Section d'appel des réfugiés
La nouvelle loi prévoyait cependant une porte de sortie pour les refusés, la Section d'appel des réfugiés. Mais les libéraux ne l'ont jamais mise sur pied, pas plus que les conservateurs aujourd'hui. Le porte-parole de la ministre Diane Finley a d'ailleurs expliqué La Presse que l'objectif du gouvernement était «de simplifier le syst me actuel sans sacrifier l'équité. Ajouter un autre palier d'appel, a-t-il affirmé, limiterait notre capacité d'améliorer la rapidité et l'efficacité du processus d'octroi de l'asile».
Mais les églises qui abritent des réfugiés affirment que cette «simplification du syst me de détermination du statut de réfugié a fait en sorte que c'est justement la justice pour les réfugiés qui a été sacrifiée».
Quels sont donc les autres recours pour un Belaouni ou une famille Raza? Un contrôle judiciaire la Cour fédérale, qui refuse neuf fois sur 10, sans s'expliquer, d'entendre les demandeurs. Ceux-ci peuvent aussi exiger un examen des risques avant renvoi, mais ce recours ne permet pas de corriger les erreurs commises lors de la détermination initiale du statut de réfugié. Ils peuvent enfin demander au ministre d' tre admis pour des raisons d'ordre humanitaire, mais il s'agit l , bien s r, d'une mesure discrétionnaire.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la Commission interaméricaine des droits de l'homme et le Comité des Nations unies contre la torture ont certes désigné le syst me canadien d'asile comme l'un des meilleurs au monde. Ils ont toutefois reproché au Canada d' tre l'un des rares pays au monde priver les demandeurs d'asile d'un appel sur le fond.
«Nous avons un bon syst me, commente Meili Faille. Nous n'avons jamais dit que nous n'avions pas un bon syst me. Ce qu'on dit, c'est qu'il nous faut une section d'appel, comme le réclame le HCR.»